Depuis dix ans à la tête de la direction
artistique de Dior Homme, il donne à
la maison française une identité toute
en vivacité, netteté et puissance. Nous
avons rencontré le créateur belge à
l’occasion d’une présentation à Tokyo de sa collection automne 2017.

Vous souvenez-vous de votre &eacute;tat d&rsquo;esprit &agrave; la veille de votre premier d&eacute;fil&eacute; pour Dior Homme ? 
 
Kris Van Assche : Je l&rsquo;avais d&eacute;j&agrave; fait pour ma marque, j&rsquo;&eacute;tais donc familier de cette excitation. Mais l&rsquo;enjeu ici &eacute;tait plus compliqu&eacute;, je savais que l&rsquo;on m&rsquo;attendait avec des &ldquo;bazookas&rdquo;. C&rsquo;&eacute;tait excitant, car je me sentais soutenu par mon &eacute;quipe et mon entourage, alors que j&rsquo;entendais les lions dehors&hellip; J&rsquo;arrivais dans une maison d&rsquo;o&ugrave; Hedi Slimane &eacute;tait parti alors qu&rsquo;elle &eacute;tait au top. Soit je faisais pareil que lui, et on m&rsquo;aurait accus&eacute; de plagiat, soit je faisais quelque chose de compl&egrave;tement diff&eacute;rent, au risque de d&eacute;cevoir les gens qui ne voulaient pas que cela change.

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Quels souvenirs gardez-vous de vos &eacute;tudes ? 
 
D&rsquo;excellents ! Je venais d&rsquo;un village non loin d&rsquo;Anvers, et j&rsquo;ai v&eacute;cu cette arriv&eacute;e &agrave; la ville, &agrave; 18 ans, comme une lib&eacute;ration. &Agrave; l&rsquo;Acad&eacute;mie royale des Beaux-Arts, il y avait des &eacute;tudiants en stylisme, mais aussi des sculpteurs, des peintres, des photographes, des graphistes. C&rsquo;&eacute;tait comme si le monde s&rsquo;ouvrait &agrave; moi. On travaillait et on s&rsquo;amusait &eacute;norm&eacute;ment&hellip; Tim Coppens, Haider Ackermann, Bernhard Willhelm &eacute;taient mes compagnons d&rsquo;&eacute;tude.

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Avez-vous le sentiment d&rsquo;appartenir &agrave; une g&eacute;n&eacute;ration de cr&eacute;ateurs ? 
 
Je ne suis pas s&ucirc;r&hellip; Apr&egrave;s l&rsquo;&eacute;poque des six d&rsquo;Anvers puis de la deuxi&egrave;me vague, je suis de celle o&ugrave; on a arr&ecirc;t&eacute; de compter les designers belges !

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Quels &eacute;taient vos mod&egrave;les ? 
 
Quand j&rsquo;avais 13 ans, la mode &eacute;tait aux cr&eacute;ateurs spectaculaires, Mugler ou Gaultier. J&rsquo;ai ensuite d&eacute;couvert une mode &agrave; Anvers qui me paraissait plus accessible. Je pense &agrave; Ann Demeulemeester, &agrave; Martin Margiela. Ce sont ensuite les cr&eacute;ateurs japonais &ndash; Comme des Gar&ccedil;ons ou Yamamoto &ndash; qui m&rsquo;ont marqu&eacute;.

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Avez-vous construit votre style par opposition aux cr&eacute;ations en vogue des ann&eacute;es 1980 ? 
 
Non, je ne crois pas. Ce c&ocirc;t&eacute; extr&ecirc;mement color&eacute;, d&eacute;cadent me faisait r&ecirc;ver. On est attir&eacute; par ce qu&rsquo;on n&rsquo;est pas.

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Comment d&eacute;cririez-vous l&rsquo;&eacute;volution de votre m&eacute;tier ? 
 
Pour avoir une m&eacute;daille aux JO, il faut s&rsquo;entra&icirc;ner tous les jours. Dans la mode, c&rsquo;est pareil. C&rsquo;est tr&egrave;s intense, je ne prends rien &agrave; la l&eacute;g&egrave;re, m&ecirc;me si nous vivons dans un univers qui permet une certaine l&eacute;g&egrave;ret&eacute;.

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Pourriez-vous nous d&eacute;crire votre m&eacute;thode de travail ? 
 
&Agrave; l&rsquo;image de mon titre, je donne la direction artistique. Je n&rsquo;ai jamais pens&eacute; que j&rsquo;&eacute;tais seul &agrave; travailler, ce qui serait idiot et impossible. J&rsquo;ai un petit cercle de collaborateurs tr&egrave;s proches &ndash; des fid&egrave;les. Je vais donner le ton, pour d&eacute;finir le point de d&eacute;part et mettre la machine en route. Le studio, c&rsquo;est la partie cr&eacute;ative ; l&rsquo;atelier a une autre fonction : je peux parler d&rsquo;un volume, d&rsquo;un col de veste, d&rsquo;une manche, et il va r&eacute;agir en fonction. J&rsquo;aime penser que le croquis est une &eacute;bauche, on peut le n&eacute;gocier&hellip; Le point de d&eacute;part, &ccedil;a peut &ecirc;tre tout et son contraire&hellip; Cela peut &ecirc;tre une r&eacute;action &agrave; la saison pr&eacute;c&eacute;dente. Il y a bien s&ucirc;r mes envies personnelles, sur une coupe, par exemple. Cela peut &ecirc;tre une exposition,&nbsp;la d&eacute;couverte d&rsquo;un artiste, la remarque d&rsquo;un ami. Je travaille dans une certaine continuit&eacute;, sur l&rsquo;&eacute;volution d&rsquo;une personnalit&eacute;, et cela me donne une base solide. Chaque collection apporte une nouveaut&eacute;, mais j&rsquo;ai le souci de cette coh&eacute;rence, tr&egrave;s naturellement. On apprend, on s&rsquo;am&eacute;liore, on creuse, on ajuste. Pour moi c&rsquo;est tr&egrave;s naturel.

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Tenez-vous compte de l&rsquo;influence croissante des r&eacute;seaux sociaux ? 
 
J&rsquo;entretiens une relation d&rsquo;amour et de haine avec eux. Quand j&rsquo;&eacute;tais jeune, l&rsquo;information, surtout en mati&egrave;re de mode, &eacute;tait difficile d&rsquo;acc&egrave;s. Aujourd&rsquo;hui, c&rsquo;est l&rsquo;inverse et on ne peut pas d&eacute;plorer que tout le monde puisse s&rsquo;&eacute;duquer. Mais que la soci&eacute;t&eacute; demande que tout soit compr&eacute;hensible via une simple photo carr&eacute;e me para&icirc;t tr&egrave;s cruel, cela manque de profondeur. Je ne travaille pas pendant six mois &agrave; une collection pour que les gens soient somm&eacute;s de tout comprendre en un clin d&rsquo;&oelig;il.

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Quel est le temps juste de la mode ?Celui de la patience ou de l&rsquo;instantan&eacute;it&eacute; ? 
 
Je crois surtout qu&rsquo;il faut arr&ecirc;ter de vouloir que tout le monde &ndash; et tout &ndash; se ressemble. Il y a un amalgame entre le streetwear, le sportswear, le mass-market, le haut de gamme&hellip; Les collaborations y sont pour quelque chose, comme la communication tous azimuts. Il faudrait r&eacute;tablir ce qui nous distingue, nous caract&eacute;rise. Je ne suis pas capable de fournir du fast-fashion. Nos exigences de fabrication et nos crit&egrave;res de qualit&eacute; ne le permettent pas. Brouiller ces lignes de distinction serait une grande folie, cela irait contre notre identit&eacute;. D&egrave;s lors que je me lance dans des innovations, qu&rsquo;il s&rsquo;agisse de techniques de broderies, sur les tissus, etc., cela implique des p&eacute;riodes de tests, parfois longues mais absolument n&eacute;cessaires.

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Quelle part occupe l&rsquo;aspect recherche et d&eacute;veloppement ? 
 
Elle est intimement li&eacute;e &agrave; ce que nous faisons sur le long terme : nous sommes impliqu&eacute;s dans un processus permanent, qui ne s&rsquo;arr&ecirc;te pas avec la pr&eacute;sentation d&rsquo;une collection. Je travaille sur quatre collections par an, et la plupart du temps j&rsquo;en m&egrave;ne deux de front. Il y a certains points que je ne peux pas d&eacute;velopper pour la saison &agrave; venir, mais qui seront m&ucirc;rs pour celle d&rsquo;apr&egrave;s. J&rsquo;ai la chance de travailler avec le studio pour la cr&eacute;ativit&eacute; et avec l&rsquo;atelier pour les aspects techniques, jusqu&rsquo;aux usines, &agrave; qui on peut soumettre des d&eacute;fis, de m&ecirc;me qu&rsquo;aux fabricants des tissus.

Est-ce que votre vocabulaire est d&eacute;sormais fig&eacute; ?&nbsp; 
 
Quelle horreur ! Mais je ne me pose pas la question : je ne regarde pas plus loin en&nbsp;arri&egrave;re que la pr&eacute;c&eacute;dente collection, et pas plus loin en avant que celles &agrave; venir. Je suis dans l&rsquo;instant, ce qui est d&eacute;j&agrave; pas mal. Si l&rsquo;on m&rsquo;avait dit, il y a trois ans, que j&rsquo;allais faire des skateboards, j&rsquo;aurais &eacute;clat&eacute; de rire. Je cherche toujours le contraste entre la tradition de tailleur, au c&oelig;ur de l&rsquo;ADN de la maison, et le c&ocirc;t&eacute; street, mode et sport, le mien. Quand j&rsquo;ai envie de pousser tr&egrave;s loin le curseur mode, je vais contrebalancer en allant loin dans la partie sport. C&rsquo;est cette friction qui donne au tailleur sa modernit&eacute;.

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Y a-t-il des pi&egrave;ces dont vous &ecirc;tes particuli&egrave;rement fier ? 
 
Je ne suis pas pass&eacute;iste&hellip; Dans la collection automne 2017 pr&eacute;sent&eacute;e &agrave; Tokyo, j&rsquo;aime bien la fa&ccedil;on dont l&rsquo;inspiration de la sc&egrave;ne new wave, avec des r&eacute;f&eacute;rences romantiques, marqu&eacute;es ann&eacute;es 1980, rencontre des &eacute;l&eacute;ments tr&egrave;s sport. J&rsquo;aime cette hybridation d&rsquo;influences diverses&hellip; Cela me para&icirc;t juste, et c&rsquo;est l&rsquo;anti-carr&eacute; Instagram !

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Comment travaillez-vous sur les campagnes et le casting des &eacute;g&eacute;ries ? 
 
Si on veut du sens, il faut une connexion authentique. Par exemple, il y avait toujours des photos sign&eacute;es Larry Clark sur mes moodboards, eh bien, apr&egrave;s m&rsquo;&ecirc;tre demand&eacute; si j&rsquo;allais prendre pour la campagne les gar&ccedil;ons qu&rsquo;il photographiait, l&rsquo;&eacute;vidence s&rsquo;est impos&eacute;e : c&rsquo;est lui qui devait y figurer. Quant au choix d&rsquo;A$AP Rocky, sa culture mode est encyclop&eacute;dique. Lorsque Boy George &eacute;tait l&rsquo;&eacute;g&eacute;rie, je trouvais &eacute;trange que les gens semblaient red&eacute;couvrir les questions de genre&hellip; C&rsquo;&eacute;tait aussi un moment o&ugrave; il y avait des tensions, o&ugrave; la tentation de repli sur soi se profilait. Et, pour moi, il incarnait comme beaucoup d&rsquo;autres, l&rsquo;expression libre de l&rsquo;identit&eacute; et sa c&eacute;l&eacute;bration.

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La mode pourrait donc tenir un discours soci&eacute;tal ? 
 
Elle ne doit pas devenir trop politique, mais comme culture elle a un r&ocirc;le &agrave; jouer, surtout dans des p&eacute;riodes o&ugrave; l&rsquo;exclusion de l&rsquo;autre et la fermeture sur soi sont des tentations. Elle est l&agrave; pour rappeler et exalter le m&eacute;lange des cultures et des diff&eacute;rences.

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Est-ce que vous pensez que la mode masculine est plus codifi&eacute;e ? 
 
Oui, parce que je suis convaincu que les hommes aiment les codes pour faire partie d&rsquo;un groupe. C&rsquo;est tr&egrave;s rassurant : il suffit d&rsquo;observer les r&egrave;gles&hellip; J&rsquo;aime beaucoup jouer avec, c&rsquo;est lib&eacute;rateur.

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dior.com

Kris Van Assche : "On est attiré par ce qu’on n’est pas"

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