La parfumeuse Christine Nagel nous a donné rendez-vous dans le secret de la cave à peaux de la maison Hermès, là où est né le parfum “Galop” et beaucoup d’autres rêves olfactifs où le cuir règne en maître.

Auteur Lionel Paill&egrave;s 
Photographe &Eacute;douard Jacquinet

Christine Nagel, parfumeuse de la maison Hermès.

C&rsquo;est &agrave; la f&ecirc;te des sens qu&rsquo;elle nous convie. Contrairement &agrave; ce que l&rsquo;on pourrait imaginer, lorsqu&rsquo;elle tra&icirc;ne entre les rouleaux de cuir de taurillon, de veau ou de croco qui attendent sagement sur des &eacute;tag&egrave;res m&eacute;talliques impeccablement rectilignes, Christine Nagel, parfumeuse de la maison Herm&egrave;s, ne vient pas seulement humer la peau, scanner ses effluves, diss&eacute;quer un &agrave; un ses ar&ocirc;mes&hellip; mais aussi caresser son grain et exp&eacute;rimenter sa &ldquo;main&rdquo; (comprenez sa texture), palper les peaux les plus souples. O&ugrave; ailleurs que dans cet &icirc;lot secret, antichambre de la cr&eacute;ation, nich&eacute; &agrave; &eacute;quidistance du p&eacute;riph&eacute;rique et de son nouveau laboratoire, o&ugrave; reposent 800 r&eacute;f&eacute;rences de peaux et de cuirs, pourraitelle exp&eacute;rimenter ce toucher si sensuel qu&rsquo;elle aime distiller dans chacune de ses compositions ? Du toucher &agrave; un parfum ? 
&ldquo;Certains ingr&eacute;dients ajoutent le tactile &agrave; l&rsquo;olfaction; encore faut-il savoir s&rsquo;y prendre et se donner corps et &acirc;me pour dompter la mati&egrave;re&rdquo;, explique celle qui a pris la direction olfactive de la maison Herm&egrave;s il y a dixhuit mois. Piquer une t&ecirc;te dans ce d&eacute;dale de silence r&eacute;g&eacute;n&egrave;re les m&eacute;ninges. Venir se promener dans ce hangar de Pantin gard&eacute; comme Fort Knox, c&rsquo;est revenir d&rsquo;un simple claquement de doigts aux sources de la parfumerie, c&rsquo;est s&rsquo;ouvrir aussi un horizon de r&ecirc;verie. Ces peaux de toutes les esp&egrave;ces (issues des meilleures tanneries de France et d&rsquo;Italie) diffusent des &eacute;pices &ldquo;verbales&rdquo; qui enflamment l&rsquo;imaginaire : pleine fleur pigment&eacute;e, buffle skipper, agneau plume, aniline, basane&hellip; Sous la lumi&egrave;re artificielle, on susurre les mots Doblis, Epsom, Box (un cuir de veau tann&eacute; au chrome), Barenia ou tadelakt, avec le m&ecirc;me app&eacute;tit, avec ce m&ecirc;me&nbsp;plaisir raffin&eacute; que lorsqu&rsquo;on prononce dans quelque cave sombre les mots Petrus, Yquem ou roman&eacute;e-conti.

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Le cuir dans la peau 
 
Ce qui frappe d&rsquo;embl&eacute;e, c&rsquo;est l&rsquo;odeur, douce&acirc;tre, tendre, pas du tout bestiale ou animale. Il para&icirc;t que les cuirs de qualit&eacute; sentent la fleur&hellip; D&eacute;j&agrave;, Jean-Claude Ellena, ma&icirc;tre parfumeur r&eacute;f&eacute;rence de la maison, avait promen&eacute; son nez dans cet antre apais&eacute; pour composer son fameux &ldquo;Cuir d&rsquo;Ange&rdquo; (2015), onctueux, qui sied si bien &agrave; l&rsquo;&eacute;piderme de l&rsquo;homme (un de ces doux &agrave; cuir au grand c&oelig;ur). Une page de Giono lui inspira un cuir espi&egrave;gle, jeune, un cuir r&ecirc;veur &agrave; fleur de peau, obtenu &agrave; partir du narcisse, du mimosa, du v&eacute;tiver, et envelopp&eacute; de musc. Le cuir, d&rsquo;ailleurs, est une citation&nbsp;permanente de la parfumerie en g&eacute;n&eacute;ral et de la parfumerie Herm&egrave;s en particulier. Pour qui aurait v&eacute;cu sur une autre plan&egrave;te, rappel des &eacute;pisodes pr&eacute;c&eacute;dents. 1951 : le g&eacute;nial Edmond Roudnitska &eacute;voquait dans &ldquo;L&rsquo;Eau d&rsquo;Herm&egrave;s&rdquo;, parfum au sillage br&ucirc;lant, l&rsquo;odeur du fond d&rsquo;un sac de femme o&ugrave; flottait encore l&rsquo;ar&ocirc;me d&rsquo;un parfum, et peut-&ecirc;tre celui d&rsquo;une conqu&ecirc;te (une bloggeuse canadienne l&rsquo;avait r&eacute;sum&eacute; en une formule &agrave; la fulgurance dr&ocirc;le et ironique : &ldquo;le slip de Robert Mitchum dans le sac &agrave; main de Grace Kelly&rdquo;). 1986 : le nez Jean-Louis Sieuzac fait na&icirc;tre &ldquo;Bel Ami&rdquo;, cuir sombre et d&eacute;cadent, tout juste rafra&icirc;chi d&rsquo;un filet de citron et de bergamote. Herm&egrave;s ne pouvait trouver sa l&eacute;gitimit&eacute; en parfumerie que dans l&rsquo;exploration du cuir. Et lorsqu&rsquo;on sait que dans la parfumerie de ce compositeur aussi sensuel que fougueux,&nbsp;les gar&ccedil;ons sont d&eacute;sirables et les filles au moins autant, les sens toujours agit&eacute;s et l&rsquo;app&eacute;tit aiguis&eacute;&hellip; N&rsquo;oublions pas que le cuir, c&rsquo;est la peau (en tout cas, elle le devient apr&egrave;s tout le travail du tannage) et que le parfum se pose sur l&rsquo;&eacute;piderme pour finir par l&rsquo;&eacute;pouser. Christine Nagel va nourrir son imaginaire aupr&egrave;s des artisans de la maison, tel ce &ldquo;maquilleur de sac&rdquo; capable de retrouver la tonalit&eacute; bleu de Prusse exacte d&rsquo;un sac. Elle s&rsquo;empare d&rsquo;une pi&egrave;ce de cuir bleu nuit : &ldquo;C&rsquo;est en touchant le Doblis, cuir de veau au toucher velours, que l&rsquo;histoire s&rsquo;est d&eacute;roul&eacute;e dans ma t&ecirc;te. J&rsquo;ai eu la chair de poule&thinsp;!&thinsp;Et&thinsp;puis&thinsp;j&rsquo;ai&thinsp;entendu&thinsp;parler&thinsp;de&thinsp;la&thinsp;fleur&thinsp; du cuir (l&rsquo;envers de la chair)&hellip; Et ce mot-l&agrave; a r&eacute;sonn&eacute;&thinsp;:&thinsp;fleur,&thinsp;cuir&hellip;&thinsp;&thinsp;marier&thinsp;la&thinsp;rose&thinsp;au&thinsp;cuir&rdquo;, ajoute-t-elle. Ironie de l&rsquo;histoire : lorsqu&rsquo;on aper&ccedil;oit ces rouleaux de cuir, on constate que l&rsquo;extr&eacute;mit&eacute; ressemble &agrave; s&rsquo;y m&eacute;prendre&nbsp;au c&oelig;ur d&rsquo;une rose. Ces deux-l&agrave; &eacute;taient faits pour s&rsquo;entendre. &ldquo;Je n&rsquo;ai pas voulu travailler le cuir de fa&ccedil;on litt&eacute;rale. J&rsquo;aurais pu couper des morceaux de cuir Doblis et faire une infusion de cuir&hellip; Mais je cherchais autant le toucher que l&rsquo;odeur !&rdquo; 
Sans lui vouer un culte f&eacute;tichiste, Christine Nagel (connue pour son amour immod&eacute;r&eacute; du patchouli) aime de plus en plus cette mati&egrave;re. &Eacute;ternel enfant grave autour duquel tra&icirc;ne toujours une odeur de danger d&eacute;lectable, le cuir avec elle prend ses aises, il s&rsquo;illumine, il s&rsquo;&eacute;l&egrave;ve, il s&rsquo;all&egrave;ge. &ldquo;J&rsquo;ai eu le coup de c&oelig;ur pour le Doblis&hellip; La porte est ouverte d&eacute;sormais, je composerai peut-&ecirc;tre un jour un accord autour du Barenia ou d&rsquo;autres cuirs d&rsquo;excellence. Et pourquoi pas un jour une collection enti&egrave;re autour du cuir&hellip;&rdquo; Comme la maison de luxe, le compositeur sait entretenir le d&eacute;sir.

Mais où naissent les parfums Hermès ?

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