Il reste encore des acteurs heureux à Hollywood. La preuve avec Billy Crudup, cataclysmique Dr Manhattan du “Watchmen : les gardiens” et, plus récemment, énième victime dans “Alien: covenant”, de Ridley Scott.

Photographe : Takay

Stylisme : Mark Holmes

&ldquo;D&egrave;s le jour o&ugrave; j&rsquo;ai d&eacute;cid&eacute; de faire ce m&eacute;tier, je n&rsquo;ai souhait&eacute; qu&rsquo;une seule chose : avoir une longue carri&egrave;re. Ne pas me contenter d&rsquo;un succ&egrave;s, de raffler la mise puis dispara&icirc;tre. Je n&rsquo;aspirais qu&rsquo;&agrave; devenir un solide acteur de&nbsp;composition.&rdquo; Au bout de l&rsquo;interminable couloir kubrickien d&rsquo;un palace du centre&nbsp;de Londres, Billy Crudup vous attend. L&rsquo;homme, la fin de quarantaine (tr&egrave;s) alerte, aff&ucirc;t&eacute;e, se pr&eacute;sente dans un complet de tweed, et accorde une poign&eacute;e de main franche et enthousiaste. Il s&rsquo;est renseign&eacute; sur le magazine pour lequel on l&rsquo;interviewe :&nbsp;&ldquo;Je ne suis pas tr&egrave;s int&eacute;ress&eacute; par les v&ecirc;tements, d&eacute;clare-t-il tout de go. Je suis plut&ocirc;t tee-shirt et jeans la plupart du temps ; le genre de type qui adore camper. Heureusement que je suis entour&eacute; de gens plus &agrave; la page que moi et qui font les bons choix &agrave; ma place.&rdquo;

La gen&egrave;se d&rsquo;un clown

&ldquo;Gamin, j&rsquo;&eacute;tais le clown de la classe&rdquo;, se souvient Billy Crudup lorsqu&rsquo;on lui pose l&rsquo;in&eacute;vitable question sur l&rsquo;origine de sa vocation. Pas d&rsquo;&eacute;piphanie lors d&rsquo;une s&eacute;ance de cin&eacute;ma dominicale dans l&rsquo;&Eacute;tat de New York qui l&rsquo;a vu grandir, non. &ldquo;J&rsquo;adorais improviser des sketchs, se rem&eacute;more-t-il, me lancer dans des imitations pour faire rire mes copains. Mais je ne me voyais pas du tout en haut de l&rsquo;af che, &agrave; jouer les Indiana Jones.&rdquo; &Agrave; l&rsquo;exercice du bilan sur les ann&eacute;es pass&eacute;es, il r&eacute;pond avoir travaill&eacute; son art inlassablement, &agrave; le rendre exible tel un muscle, &ldquo;&agrave; chercher constamment &agrave; me surprendre moi- m&ecirc;me tout en prenant de plus en plus conscience de ce qui, parmi les r&ocirc;les que je d&eacute;crochais, m&rsquo;allait le mieux&rdquo;. Au d&eacute;part pourtant, et il l&rsquo;avoue sans peine, le th&eacute;&acirc;tre n&rsquo;&eacute;tait pour lui qu&rsquo;une simple option &agrave; la fac, mani&egrave;re&nbsp;de rattraper une premi&egrave;re ann&eacute;e joyeusement ingu&eacute;e par l&rsquo;abus de f&ecirc;tes : &ldquo;J&rsquo;aimais&nbsp;bien b&ucirc;cher un texte ou un po&egrave;me pendant&nbsp;des heures ou, au contraire, en sortir quelque chose d&rsquo;impromptu, de totalement instinctif. Alors, j&rsquo;ai pens&eacute; que le th&eacute;&acirc;tre serait pour moi la fa&ccedil;on la plus simple de rattraper des points.&rdquo; Un jour pourtant, &agrave; la fin d&rsquo;une repr&eacute;sentation, un professeur lui glisse qu&rsquo;il le verrait bien&nbsp;en faire son m&eacute;tier. C&rsquo;est l&agrave; exactement&nbsp;&ndash; il s&rsquo;en rappelle avec dans le regard comme une &eacute;tincelle de nostalgie &ndash; qu&rsquo;a lieu le d&eacute;clic. Celui qui, au mieux, s&rsquo;imaginait devenir &ldquo;professeur de th&eacute;&acirc;tre; longtemps, c&rsquo;est rest&eacute; pour moi la fa&ccedil;on id&eacute;ale de transmettre cet art.&rdquo; va nalement r&eacute;ussir &agrave; s&rsquo;imposer solide&nbsp;second r&ocirc;le &agrave; Hollywood en quelques ann&eacute;es&nbsp;&agrave; peine.

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&ldquo;Oh, mec, c&rsquo;&eacute;tait d&eacute;ment !&rdquo; Et il soupire, submerg&eacute; par la br&egrave;ve vague de souvenirs. La gloire quasi instantan&eacute;e, ce &ldquo;du-jour-au- lendemain&rdquo; qui chante, les traitements&nbsp;de faveur, les cohortes de fans... Billy Crudup y a eu droit &ndash; un temps. Nous sommes en 1996. Jusque-l&agrave;, l&rsquo;excellente r&eacute;putation de l&rsquo;acteur, ovationn&eacute; pour son interpr&eacute;tation dans la pi&egrave;ce Arcadia, de Tom Stoppard, jou&eacute;e &agrave; Broadway, n&rsquo;a cependant gu&egrave;re d&eacute;pass&eacute; le cercle des critiques de la&nbsp;c&ocirc;te Est. Et voil&agrave; qu&rsquo;il se retrouve catapult&eacute; dans un thriller assez remarqu&eacute; &agrave; l&rsquo;&eacute;poque (quoique sans grand relief) aux c&ocirc;t&eacute;s de Robert de Niro et d&rsquo;un inconnu en passe d&rsquo;atteindre les sommets du star-system, Brad Pitt. Sleepers, de Barry Levinson, raconte&nbsp;le destin d&rsquo;une bande de gamins plut&ocirc;t inoffensifs &agrave; jamais bris&eacute;s par la brutalit&eacute; du gardien de la maison de redressement o&ugrave; ils sont envoy&eacute;s. Billy fait donc partie du voyage, lanc&eacute; &agrave; vitesse grand V. &ldquo;J&rsquo;&eacute;tais terri &eacute;. Rien ne m&rsquo;avait pr&eacute;par&eacute; &agrave; &ccedil;a. &Agrave; l&rsquo;&eacute;cole, on vous apprend &agrave; placer votre voix, &agrave; vous d&eacute;placer,&nbsp;&agrave; travailler les textes. Pas &agrave; r&eacute;pondre &agrave; une interview !&rdquo;, avoue-t-il. Imm&eacute;diatement,&nbsp;sa vie s&rsquo;en trouve chamboul&eacute;e : &ldquo;Mes amis, qui le soir me voyaient &agrave; la t&eacute;l&eacute; dans des talk- shows, ont commenc&eacute; &agrave; agir diff&eacute;remment avec moi. Quand votre entourage ne sait plus comment vous aborder, vous &ecirc;tes bais&eacute;. Mais j&rsquo;ai r&eacute;sist&eacute;...&rdquo; La t&ecirc;te dure, peut-&ecirc;tre conscient que la gloire facile a vite fait de vous rendre la monnaie de sa pi&egrave;ce, Crudup la joue&nbsp;chi va piano va sano. Aux coups d&rsquo;&eacute;clat fa&ccedil;on &ldquo;Brat Pack&rdquo; (le vivier Charlie Sheen, Tom Cruise, Rob Lowe et consorts) de la&nbsp;g&eacute;n&eacute;ration de talents pr&eacute;c&eacute;dente vite pass&eacute;e au tamis des grands studios, il opte pour des choix plus r&eacute; &eacute;chis, moins rentables aussi. On le voit ainsi tourner pour Woody Allen (Tout le monde dit I Love You), Robert Towne (Without Limits), Stephen Frears (The Hi-Lo Country) ou pr&ecirc;ter sa voix au doublage US d&rsquo;un des personnages&nbsp;du superbe Princesse Mononok&eacute;, d&rsquo;Hayao Miyazaki.

&ldquo;Avec ma gueule, ma mani&egrave;re de jouer, ajoute-t-il, les gens ont tout de suite cherch&eacute; &agrave; me caser dans un certain type 
de r&ocirc;le. Je devais correspondre aux demandes du march&eacute;. Mais, moi, je n&rsquo;avais qu&rsquo;une obsession : sortir de ma&nbsp;zone de confort.&rdquo;

Presque (tr&egrave;s) c&eacute;l&egrave;bre

&ldquo;Je suis un acteur incroyablement ambitieux dans le sens o&ugrave; je veux repousser toujours plus loin les limites de mon potentiel. Mais la gloire, les biens mat&eacute;riels, le luxe que peut procurer&nbsp;la r&eacute;ussite, je m&rsquo;en fiche un peu.&nbsp;La reconnaissance, cela me convient lorsque&nbsp;je sens vraiment avoir bluff&eacute; les spectateurs !&rdquo; Certes. Mais la reconnaissance publique,&nbsp;la vraie, est bel et bien arriv&eacute;e &agrave; Billy Crudup en 2000 avec Presque c&eacute;l&egrave;bre, ce chef-d&rsquo;&oelig;uvre de poche sign&eacute; Cameron Crowe, inspir&eacute; de sa propre adolescence quand, alors &agrave; peu pr&egrave;s vierge de tout, il devenait le critique f&eacute;tiche d&rsquo;un immense magazine rock am&eacute;ricain. Billy Crudup y campe Russell Hammond,&nbsp;leader adul&eacute; d&rsquo;un Lynyrd Skynyrd revisit&eacute;.&nbsp;Il est beau, dr&ocirc;le, et il irradie, volant la vedette sans le vouloir &agrave; toute la distribution.&nbsp;La transcendance est &agrave; port&eacute;e de main,&nbsp;de quoi laisser la concurrence sur place, devenir la coqueluche absolue du Hollywood nouveau si&egrave;cle. Il suffit de signer, mais l&agrave; encore, &ccedil;a ripe : &ldquo;Des propositions vraiment cool m&rsquo;arrivaient. Et j&rsquo;ai tout refus&eacute; en bloc, dont certains films vraiment bien. C&rsquo;est mon c&ocirc;t&eacute; born&eacute;, qui ressort parfois dans ma carri&egrave;re.&rdquo; Une rumeur tenace veut aussi qu&rsquo;il se soit vu chiper sous le nez le r&ocirc;le principal de Titanic &ndash; celui-l&agrave; m&ecirc;me qui a fait de qui vous savez ce qu&rsquo;il est aujourd&rsquo;hui. &ldquo;Il faut accepter d&rsquo;&eacute;chouer parfois, vous habituer&nbsp;au d&eacute;sespoir, conseille-t-il, soudain fataliste. Vous ne sortirez pas toujours quelque&nbsp;chose de magique d&rsquo;un r&ocirc;le que vous avez arrach&eacute; apr&egrave;s maintes auditions. Et si vous y parvenez, il se peut que personne n&rsquo;y pr&ecirc;te attention.&rdquo; Tout de m&ecirc;me, &agrave; son tableau&nbsp;de chasse, nombreuses figurent les &oelig;uvres (et les compositions) non n&eacute;gligeables, chacune dans leur genre : Big Fish,&nbsp;de Tim Burton, Mission impossible 3,&nbsp;de J.J. Abrams, Raison d&rsquo;&Eacute;tat, de Robert de Niro, Watchmen : les gardiens, de Zack Snyder, Blood Ties, de Guillaume Canet, Spotlight,&nbsp;de Tom McCarthy...

Luxe, gloire et probit&eacute;

&ldquo;La carri&egrave;re d&rsquo;un acteur, c&rsquo;est le grand huit permanent. Faites autre chose si vous cherchez la tranquillit&eacute;. C&rsquo;est un bordel complet !&rdquo; D&rsquo;ailleurs, Billy Crudup, qui n&rsquo;a de cesse&nbsp;de mettre en avant son implication dans&nbsp;des &ldquo;petits r&ocirc;les&rdquo; &ndash; &ldquo;Les plus int&eacute;ressants professionnellement, con e-t-il. Je veux &ecirc;tre utile. C&rsquo;est ce que j&rsquo;appelle ma trajectoire.&rdquo;&ndash;&nbsp;vient d&rsquo;appara&icirc;tre dans Alien: Covenant&nbsp;en colonisateur de l&rsquo;espace bien malmen&eacute; par un Ridley Scott accroch&eacute; &agrave; sa franchise visqueuse comme une bernique &agrave; son rocher. Ceci avant d&rsquo;incarner le p&egrave;re Flash,&nbsp;le super-h&eacute;ros le plus rapide de l&rsquo;&eacute;curie&nbsp;DC Comics, dans deux adaptations &agrave; sortir coup sur coup : Justice League et The Flash. L&rsquo;acteur &ndash; vu chez Stephen Frears, Michael Mann, Pablo Larra&iacute;n &ndash; aurait-il donc chang&eacute; son fusil d&rsquo;&eacute;paule, contingence oblige ? C&eacute;d&eacute; aux sir&egrave;nes sucr&eacute;es du divertissement poids lourd et de ses (fructueuses) suites&nbsp;&agrave; r&eacute;p&eacute;titions ? La &ldquo;zone de confort&rdquo; tant repouss&eacute;e n&rsquo;a jamais sembl&eacute; si proche. Billy Crudup of cie m&ecirc;me depuis peu sur Net ix dans la s&eacute;rie Gypsy, c&rsquo;est dire. Lui-m&ecirc;me&nbsp;le conc&egrave;de : &ldquo;C&rsquo;est vrai que cette ann&eacute;e&nbsp;a &eacute;t&eacute; incroyablement excitante du point 
de vue du travail. Je m&rsquo;&eacute;clate comme un fou. C&rsquo;est exactement ce que je voulais faire.&nbsp;Je n&rsquo;en perds pas une miette.&rdquo; Mais pour mieux assurer ensuite que &ldquo;[son] r&ocirc;le dans l&rsquo;univers de Flash &eacute;tant ce qu&rsquo;il est &ndash; je ne vais rien d&eacute;voiler &ndash;, [il n&rsquo;a] pas sign&eacute; pour une rente !&rdquo; Son r&ecirc;ve de jeunesse, son apoth&eacute;ose, il le vit donc pleinement aujourd&rsquo;hui, aussi bien&nbsp;face &agrave; une Jackie Kennedy endeuill&eacute;e incarn&eacute;e par Natalie Portman que contre&nbsp;des extra-terrestres&nbsp;anthropophages&nbsp;pour la Fox (Alien : Covenant) ou &agrave; materner du super-h&eacute;ros pour la Warner (Justice League). Une ubiquit&eacute; qu&rsquo;il analyse&nbsp;avec gourmandise : &ldquo;Lorsqu&rsquo;il m&rsquo;a fallu rejoindre le tournage d&rsquo;Alien: Covenant,&nbsp;je jouais au th&eacute;&acirc;tre En attendant Godot.&nbsp;J&rsquo;ai en n atteint cette l&eacute;g&egrave;ret&eacute; que j&rsquo;esp&eacute;rais&nbsp;&agrave; mes d&eacute;buts. C&rsquo;est &agrave; la fois une b&eacute;n&eacute;diction&nbsp;et une vraie vie de carnaval !&rdquo; Heureux, qui comme Billy...

Billy Crudup est &agrave; l&rsquo;affiche de Gypsy, disponible sur Netflix.&nbsp;

Billy Crudup : “Gamin, j’étais le clown de la classe”

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